
Pour ceux qui s’amusent à situer sur la droite chronologique de mon évolution les histoires que j’écris, celle-ci se déroule juste avant que je découvre avec stupéfaction les propriétés particulières de l’eau-de-Javel.
Donc, dans le temps que j’habitais sur la rue Cadotte, en face du Parc Cluny (Pow! Pow! Pow! Tu fuck pas avec le Parc Cluny), j’avais une charmante petite voisine qui me servait de passe-temps. Elle était légèrement plus âgée que moi ce qui fait qu’elle était un peu plus dégourdie. Probable que je me suis fait jouer au docteur par elle, sans que je m’en rende compte. Et là, vous vous attendez tous à une histoire de sexualité pré-pubère.
Il n’en est rien.
Puisqu’elle était plus vieille, elle avait droit à plus de permissions que moi. Elle pouvait même aller jusqu’au coin de la rue pour poster une lettre. Ça, ça me rendait vraiment jaloux. Parce que moi aussi, je sentais que j’étais capable d’aller jusqu’au coin de la rue. J’étais peut-être pas assez grand pour déposer moi-même la lettre dans la boîte-à-malle, mais je voulais aller au coin de la rue, bon…
Jour après jour, je peaufinais le plan qui me permettrait de me soustraire à l’attention de ma mère et d’atteindre le coin de la rue Cluny. Puis, un jour, l’idée de génie est apparue dans mon cerveau d’enfant: si moi, je n’étais pas assez grand pour déposer la lettre dans la grande boîte rouge, Julie (baptisons la ainsi parce que, de toute façon, toutes les filles s’appelaient Julie en 1982), elle, était assez grande. Il suffisait donc que ma mère aie une lettre à poster, que je sois avec Julie au bon moment et que je lui propose qu’on aille la poster ensemble, Julie et moi, comme des grands. Et j’ai commencé à surveiller le dessus du lave-vaisselle (parce que c’est là qu’on entreposait les lettres en instance de postement…)
Au bout de quelques semaines, l’occasion rêvée s’est enfin présentée. J’étais avec Julie en train de jouer à une activité quelconque pour les 3 à 5 ans, quand ma mère est apparue dans le cadre de la porte pour nous dire qu’on devait aller avec elle à la boîte-à-malle. « Wo!Wo!Wo! » que j’ai dit, « Julie pis moi, on est capable d’y aller tu-seul ». Maman hésitait, mais Julie a ajouté: « Même que j’y va souvent pour ma mère. Je sais c’est où, c’est au coin de la rue. » Devant un argument d’une telle ampleur, ma mère n’avait pas le choix de nous laisser aller. Après tout, ça nous prendrait une grosse minute au maximum pour faire l’aller-retour…Faque on est partis.
Devant genre la troisième maison, la petite tabarnak me dit: « Tsé, je connais un raccourci; une boîte-à-malle qui va plus vite. Tu mets ta lettre là, pis le lendemain, elle est déjà rendue où tu veux. » J’étais sceptique, mais curieux. Ça m’intriguait et je ne me doutais que la petite bitch pouvait me tromper. Elle m’a amené à travers une haie de cèdre jusqu’en dessous du balcon de Monsieur Dubuc. Là, elle m’a arraché ma lettre et elle l’a câlissée au bout de ses bras, en dessous de l’escalier du balcon. Je l’ai regardée, les yeux remplis de questions et j’ai dit: « Es-tu certaine que le facteur va venir la chercher là et que ça va aller plus vite? » Et elle a répondu: « Ben oui! Je viens toujours porter les lettres de ma mère ici. » Comme si rien était, on est rentrés chez moi sans en parler à ma mère.
Plus tard, quand Julie était retournée chez elle, j’ai osé en glisser un mot a mère: « Tsé Maman, la lettre que j’ai posté avec Julie, on l’a mis dans une boîte-aux-lettres super-rapide! »
« Où ça ?!?! »
« En dessous du balcon de Monsieur Dubuc…. »
« En dessous du balcon de Monsieur Dubuc? Ah! La petite vlimeuse! Fred, y’a pas de boîte-à-malle en dessous du balcon de Monsieur Dubuc. Tu t’es fait conter des menteries. Viens-t’en on va aller chercher ça tu-suite! »
Je n’ai plus jamais joué avec Julie. Et je n’ai plus jamais eu le droit d’aller poster les lettres de ma mère. Ce qui fait que maintenant, j’ai peur des facteurs.